Je suis d'accord que la liseuse change la vie, question prix et praticité. On peut avoir des intégrales colossales et très bien faites d’Apollinaire ou de Baudelaire pour un euro et des bricoles, et même les nouveautés sont bien moins chères. Je continue à acheter des livres quand je ne peux pas faire autrement et quand j'aime beaucoup (j'ai ma
Horde du Contrevent ou mon
Mordred en numérique ET en physique), mais la liseuse est vraiment bien pratique. Et pourtant je n'ai pas été facile à convertir...
Après, il y a des tas de choses qui entrent en ligne de compte concernant le succès des livres des petites maisons d'édition, je suppose. D'abord, tous les livres se vendent peu, et ce depuis toujours, en dehors d'un infime pourcentage de best-sellers. N'importe qui a entendu de Proust, auteur essentiel de l'histoire de la littérature, mais Marc Lévy vend un million et demi d'exemplaires de plus de n'importe lequel de ses bouquins dès la première année.
Ensuite, nous avons en France l'avantage d'un vrai respect pour le roman court qui n'existe guère aux USA ou en Russie (chez eux, le roman, c'est 800 pages sinon ce n'est pas sérieux), en revanche (car tous les systèmes sont différents et tous ont leurs avantages et leurs inconvénients) nous y perdons la novella, que pratiquaient Conrad ou Steinbeck sans avoir le sentiment de déroger mais qui hélas n'est pas trop pris au sérieux chez nous (le numérique peut être l'occasion de modifier un peu les choses, nous verrons).
Ensuite, je crois qu'il y a en littérature le même effet de mode que partout ailleurs. On se précipite sur
Terminator parce qu'il est entendu depuis le départ que c'est LE film qu'il faut voir, et tant pis pour les autres. On vend des palanquées de
Hunger Games parce que c'est un produit fabriqué pour ça (même s'il est à 20 lieues en dessous de
Méto, de
Nox ou de
Le roi des fauves, pour prendre quelques romans "jeunesse" que j'ai lus dernièrement). Et les libraires, les commerçants (peut-être pour survivre, peut-être par obligation contractuelle, peut-être par facilité, je ne sais pas) vont dans le même sens, présentant sur leurs rayonnages les mêmes Orson Scott Card que tout le monde - parfois d'ailleurs avec raison (certains succès sont amplement mérités alors qu'on ne me lit pas simplement parce que je ne suis pas bon) mais parfois sans qu'on comprenne pourquoi - parce que Dan Simmons, quand même, c'est pas Bradbury ! C'est pour cela que j'étais tellement en colère qu'Immatériel abandonne au début ses "dernières sorties" pour les remplacer par de lamentables "meilleures ventes" et c'est pour ça que j'avais tant de sympathie pour
Rêves & Cris à l'époque où ils présentaient sans discrimination tous les éditeurs, tous les magazines. Je ne me fais pas d'illusion, j'ai vendu 50 fois plus de
Terre Zéro (sans blague, 50 fois plus ! ) que de
Et la mort perdra tout empire parce qu'ils en ont parlé dans l'émission, pas parce que c'est mieux que ce que font mes petits camarades.
Et puis il y a aussi cette aura curieuse qu'ont les productions américaines, supposées a priori supérieures, dotées d'un art narratif inégalable. Il y a chez eux des trucs remarquables, des machins complètement ratés, et des flopées de livres ou de feuilletons télé compétents mais sans génie particulier, comme partout ailleurs, et je suis toujours surpris, quand je creuse dans une conversion avec un ami qui pense que les Russes ne savent pas faire de SF ni les Français de film en dehors des comédies bas de gamme, de constater qu'il ne lit pas de SF russe et n'a jamais vu un Pierre Schoeller. Boycotter la littérature de genre américaine parce que le marketing est horripilant, c'est stupide. Mais boycotter un livre de fantasy pour la seule raison qu'il est italien est débile aussi.
Bref ! Il faut encourager la petite littérature underground. En parler sur les forums, faire partager ses enthousiasmes, offrir autour de soi. C'est pour ça que j'ai des remords de ne plus avoir parlé de mes lectures depuis le livre de l'ami Isangeles - mais en ce moment c'est dur de trouver le temps.
D'ailleurs je viens de perdre un quart d'heure de boulot en racontant n'importe quoi, alors je file !