Comme il est utile de connaître la puissance intellectuelle de ses contemporains, j'ai récupéré chez un fripier un vieux bouquin de MM. Bruckner et Finkielkraut, nanardement intitulé :
Au coin de la rue, l'aventure. Ça date de 1979. On ne sait pas trop au juste ce que ces deux bourgeois bavards des Trente Glorieuses spécialisés dans les émissions de télé et les ouvrages de moraliste pour Relay ont vécu comme aventures, mais mes sources m'informent qu'ils n'ont pas été chercheurs d'or au Guatemala.
Le bouquin est extrêmement daté, ce qui est gênant pour des penseurs : on a le droit d'évoluer et il faut évoluer, bien sûr, il faut réfléchir et changer, mais quand on vogue à ce point au fil du temps, c'est qu'on reste en surface. C'est pourtant le moindre de ses défauts. Dans ce livre au style lourd de pion qui s'aimerait spirituel, on trouve des opinions péremptoires et arbitraires sur tout et n'importe quoi, dans le genre assuré des lycéens qui savent tout sur tout, mais ne s'encombrent pas de faits (les faits sont inutiles, et si frivoles !)
Par exemple, on nous embourbe dans des considérations sans fin sur l'apprentissage de l'ennui à la caserne, ce qui est curieux sous la plume de deux embusqués (le besoin narcissique de parler de lui a mené Bruckner à avouer, dans un livre bien plus récent, que lui et son copain avaient truqué leur passage au conseil de révision pour carotter le service militaire). Il est vrai qu'ils bavardent longuement aussi sur l'art de la guerre, tout en situant Verdun et la Somme en 1917. Avec BHL ou Onfray, on a de belles brochettes d'intellectuels analphabètes, ces temps-ci.
Le mieux se situe en page 91, où nos deux lascars se lancent dans l'apologie de la liberté de l'amour enfin libéré de la foi et des conventions bourgeoises à travers l'éloge de Tony Duvert et de son autofiction
Quand mourut Jonathan (je suspecte Bruckner d'avoir rédigé ce paragraphe : c'est lui, l'ancien signataire de pétitions pédophiles et l'obsédé hors d'âge qui a appris plus vite l'usage du viagra que celui de la douche froide).
La pauvreté de la pensée, la superficialité des démonstrations, la culture générale de bachoteur de 17 ans, l'absence de heurt avec les opinions contraires et la perméabilité coupable à l'esprit du temps, sans compter les couardises au quotidien, discréditent forcément un plumitif.
Ou devrait.
PS : Si vous ne connaissez pas Duvert, un article wikipedia qui, bien que complaisant, vous donnera une idée de ce qui faisait rêver les jeunes Bruckner/Finkielkraut :
fr.wikipedia.org/wiki/Quand_mourut_Jonathan