Jeb
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J'espère en avoir d'autres, le travail pour les Services Presses ne s'arrête jamais !
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D’habitude, je me contente de signaler la sortie du bouquin en remerciant ceux qui ont donné un coup de main, prodigué des conseils, relevé des coquilles. Pour une fois, je vais disserter un peu (du coup, vous pouvez sans mal changer de fil de discussion !) C’est que ce bouquin, avec Téra-République pour des raisons différentes, est je crois ce que je peux faire de mieux (c’est à dire pas Julien Green, mais bien mieux que, disons, Les dieux sans visage). Comme c’est mon premier bavardage de théorie littéraire alors que c’est mon sixième roman publié, je suis sûr que vous me pardonnerez.
Parce que, oui, j’essaie toujours de faire en sorte que mes romans aient une intrigue structurée, une action qui progresse, des secrets qui se dévoilent, des personnages intéressants (bref, je m’efforce de ne perdre personne d’ennui en cours de route), mais figurez-vous qu’il m’arrive de mettre en action des théories d’écriture personnelle.
1 – D’abord, le narrateur omniscient. Je reste convaincu que c’est l’outil royal de la littérature. Aucune technique n’est à rejeter en soi, il m’est arrivé d’adopter un point de vue restreint à la première personne et, si elles sont un peu artificielles, je salue les tentatives courageuses de certains écrivains américains pour écrire en « immersion profonde », mais il me semble qu’il y a là une amputation délibérée des armes dont disposent les écrivains, privés de toutes sortes d’outils (dont l’image ou le son) que possèdent le cinéma et le jeu vidéo, mais du moins capables de se défendre avec le point de vue supérieur.
Bien sûr, sauf à vouloir créer un effet particulier, on ne peut plus pratiquer la narration omnisciente comme dans les romans populaires du 19e. Mais depuis longtemps, il y a des alternatives. Dans Lord Jim, par exemple, Conrad utilise les souvenirs de Marlowe, dont les pensées propres sur la vie et le monde influencent ce qu’il comprend de Jim, mais aussi les narrations de ceux que Marlowe rencontre, qui ont aussi connu le héros (le capitaine français qui a sauvé les pèlerins du Patna, le chef de comptoir hollandais…) et qui complètent le puzzle tout en offrant un point de vue personnel, une compréhension spécifique du personnage. Conrad reconstitue ainsi, par fragments, son narrateur qui sait tout, mais éclaté, kaléidoscopique, de sorte que la vérité (ou du moins la vérité qui nous est compréhensible, car ultimement Jim garde une partie de son mystère) nous est dévoilé par à-coups.
À mon niveau (je sais être du côté de la dramatique M6, pas du côté de Kurosawa), j’ai voulu pousser l’idée plus loin. Chaque personnage, dans Les Chasseurs noirs, apporte au lecteur sa lueur propre, mais d’autant plus parcellaire qu’il ne sait rien. Par exemple : tel enfant soldat, blessé, se réveille dans l’hôpital d’une ville où l’on n’incorpore pas les enfants et où l’on rouvre les écoles, lui qui n’a connu que les ruines et les combats, sans comprendre pourquoi il est là, où est ce « là » et surtout sans disposer des outils intellectuels d’analyse qui lui permettraient de donner sens à ce que ses sens observent. Il y un avantage pratique à cet état de chose : on maintient l’intérêt du lecteur dans ce dévoilement progressif du mystère (enfin, je l’espère…), mais le but est aussi de reconstituer la plénitude de mon narrateur omniscient à partir de presque rien.
2 – L’influence simultanée de la culture populaire et du classicisme. Je recommande à tous ceux qui ne les ont pas regardées les conférences à Harvard de Leonard Bernstein, dans les années 70, publiées en DVD et en bouquin sous le titre La question sans réponse (The Unanswered Question). Lorsqu’il y aborde la question de la musique contemporaine, Bernstein cite le philosophe Adorno (qui était aussi musicologue) et qui divisait en deux les grands courants de la musique d’après-guerre. Celui, toujours tonal, dont le grand représentant était alors Stravinsky, et l’atonal, initié par Schoenberg. Pour Adorno, le premier était le mal incarné, le second le modèle à suivre.
Bernstein répond que la tonalité n’est pas ce continent mort que prétend Adorno, ayant été rajeuni et maintenu par une recherche constante d’éléments nouveaux. Il cite des caractéristiques propres à la musique, intransposables à la littérature (la polytonalité, la polyrythmie), mais aussi des techniques sur lesquelles j’ai réfléchi en termes d’écriture.
D’abord, l’objectivité. Loin du Sturm und drang romantique dans lequel s’inscrit la 2e école de Vienne, à ce titre conventionnellement viennoise, loin du moi érigé en héros central (« Mes symphonies sont des mondes », disait Mahler, mais ce monde c’était toujours Mahler), Stravinsky revendique le droit à la distance. Bernstein joue une Gymnopédie de Satie : pur objet sonore, dont le titre même, ne faisant référence à rien de contemporain pour une pièce qui n’a rien d’illustrative, contribue à la distanciation. Pas d’auto-fiction chez Stravinsky, pas d’introduction de l’ego dans le sujet musical. Une objectivité un peu froide, un peu aristocratique, « utterly détaché », dit Bernstein en franglais dans le texte. Pas question d’être diariste, pas question de faire un livre sur le cancer de sa mère ou l’accident de moto mortel de son fils : le roman comme objet sonore pur. À l’échelon qui est le mien (mes bouquins sont plus proches des BO de Tex Avery que du Sacre du printemps), j’ai adopté le principe : on a ses thèmes, ses personnages de prédilection, voire son combat, mais on ne se raconte pas. Pas du tout, jamais.
D’autre part, le mélange des genres. Ce qui a aussi conservé la validité de la tonalité, nous dit Bernstein, c’est l’adjonction à la musique la plus savante des inspirations les plus populaires : le cabaret de Montmartre chez Poulenc, le carnaval de Rio chez Milhaud, les rag-times chez Stravinsky (on pourrait citer Bernstein lui-même, et sa Mass hippie des seventies où se mêlent musique orchestrale, chanson populaire, fanfares, pop, music-hall…) Là encore au niveau qui est le mien (dans le bas du classement), j’essaie de trouver des manières de travailler dans cette direction. Dans Les Chasseurs noirs, par exemple, il y a deux confession juxtaposées de deux enfants soldats. La première est celle de Baudouin, pur personnage d’anticipation dans la lignée du cyberpunk et du post-apo. Il est une classique création fictionnelle SF, inscrite dans une diégèse de roman d’anticipation. L’autre est celle de Loïc, presque totalement démarquée de véritables témoignages d’enfants soldats (mais factuellement modifiés et stylisés, pour des raisons littéraires et par respect élémentaire pour les vrais acteurs de ces drames, condensés aussi en un seul personnage et adaptés à l’univers du livre). De surcroît, le premier témoignage est écrit, avec toute la liberté typographique et tous les illogismes d’articulation des écritures fantaisistes, et l’autre oral, beaucoup plus grave, strictement corseté par toutes les techniques de la confession dans les romans classiques. C’est comme mêler une séquence documentaire filmée caméra à l’épaule et une scène de fiction en cinémascope académique avec techniciens professionnels à la lumière et aux cadrages, sans donner l’impression qu’on vient de changer d’univers ou même de pellicule. Là encore, je ne sais pas si j’ai réussi à faire ce que je voulais, mais à défaut d’avoir le talent pour y parvenir, j’ai visé un objectif un peu plus élevé avec ce roman qu’à l’époque innocente de mon Roi de la colline...
Voilà, si on ajoute à ça que je ne me suis jamais attaché à mes personnages autant qu’à ceux de ce roman (à la très notable exception de ceux de Téra-République, surtout Cédric et Silvio : à suivre...), vous comprenez pourquoi j’attends cette sortie avec autant d’impatience que de trac.
Par ailleurs, j’espère que la multiplicité des thèmes intéressera des lecteurs différents. Il y est question des enfants soldats, bien sûr, question sur laquelle je me suis énormément documenté et que j’ai essayé de traiter de façon certes romanesque, mais sérieuse, pas seulement comme un sujet croustillant pour scribouillard sans trop de scrupule qui veut passer pour un écrivain à préoccupations. Mais il est également question d’inadéquation psychologique au monde dans lequel on vit, alors même qu’on semble en être une émanation (Christian), de la problématique particulière des reconstructions alors même que l’effondrement poursuit son cours, des différents paliers de gradation de la violence (de la milice la plus sauvage aux différentes formes prétendant incarner la légitimité de l’usage de la force), de la possibilité pour un État d'être véritablement un État de droit (il a fallu que je fasse sur mes tendances anarchistes un effort soutenu d'objectivité - au point que jusqu'à la dernière seconde, je me suis trompé sur ce qu'il allait advenir de mes petits démobilisés - j'aime bien ces moments d'écriture où la logique interne de ce que vous avez rédigé et bâti jusqu'alors vous explique que vous ne pouvez plus écrire la fin que vous aviez prévue initialement et vous contraint à changer les événements).
Le tout avec des combats et des révélations de dernière minute ! Avec du suspense, des enlèvements, du whisky, de l’infiltration, des tentatives de fuite, des allusions à Hideo Kojima, des personnages qui meurent (mais vous ne suspecterez pas lesquels avant que ça n'arrive !) et une grande machination sous-jacente que l’on peut deviner en faisant attention aux indices, mais que vous ne devinerez pas ! On n’y arrive pas toujours, mais on ne devrait jamais perdre de vue l’adage : « Avant toute chose, ne pas raser ! »
PS : Ceux d’entre vous qui sont arrivés jusque-là : chapeau ! Moi j’aurais abandonné depuis longtemps...
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- captainmarlowe
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- T'as pas une gueule de porte-bonheur
En termes de théories littéraires, j'ai découvert en parcourant ce forum qu'il y en avait, ainsi que des règles de rédaction (show, don't ell, ce genre de choses). Ce qui me prouve que mon approche est complètement larguée, parce que j'ai toujours eu comme approche "je fais comme je le sens" (une des raisons, d'ailleurs, pour laquelle je serais sans doute rétif à ce que l'on me fasse modifier un texte au nom de tel ou tel principe et de telle ou telle règle).
Il y a une collectivité nerveuse dans mon crâne.
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- Kaliom Ludo
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- Chevalier de Mornétoile
C'est un roman différent de Jeb, très dur, où j'ai appris énormément sur les enfants soldats... Et sans m'ennuyer ou avoir l'impression de regarder un documentaire. Et on retrouve aussi ce que j'aime chez Jeb, avec beaucoup d'humanité et de pudeur dans les relations entre les personnages. Malgré la dureté du propos, j'étais sorti content et touché de ma lecture.
C'est un roman que j'aurais aimé publié, même s'il aurait été vraiment différent des publications actuelles de Mots & Légendes. Je me rattraperai et me consolerai avec Téra-République !
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- Jeb
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captainmarlowe wrote: Bon, ben dès que ça sort, je l'achète !
En termes de théories littéraires, j'ai découvert en parcourant ce forum qu'il y en avait, ainsi que des règles de rédaction (show, don't ell, ce genre de choses). Ce qui me prouve que mon approche est complètement larguée, parce que j'ai toujours eu comme approche "je fais comme je le sens" (une des raisons, d'ailleurs, pour laquelle je serais sans doute rétif à ce que l'on me fasse modifier un texte au nom de tel ou tel principe et de telle ou telle règle).
Merci d'avance ! Les règles, c'est marrant à connaître, à condition de savoir s'en foutre, et de bien comprendre que ce qu'on nous présente comme des impératifs (le "show, don't tell", par exemple), ce n'est que la mode du jour. Du coup, ton approche n'est pas si mal que ça. Du reste, je t'ai lu, je sais donc bien que c'est le cas !
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- Jeb
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- El Tigre numero Uno !
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Kaliom Ludo wrote: Je suis pas en grande forme pour répondre de façon détaillée (Hald a réussi à me refiler son rhume), mais je vous conseille de lire Les Chasseurs noirs, quand il sortira.
C'est un roman différent de Jeb, très dur, où j'ai appris énormément sur les enfants soldats... Et sans m'ennuyer ou avoir l'impression de regarder un documentaire. Et on retrouve aussi ce que j'aime chez Jeb, avec beaucoup d'humanité et de pudeur dans les relations entre les personnages. Malgré la dureté du propos, j'étais sorti content et touché de ma lecture.
C'est un roman que j'aurais aimé publié, même s'il aurait été vraiment différent des publications actuelles de Mots & Légendes. Je me rattraperai et me consolerai avec Téra-République !
Merci ! Ce que tu me dis me touche beaucoup !
Bon rétablissement à vous deux !
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- kith
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- Habitué de la taverne
Et ce n'est pas du tout long ou indigeste à lire, c'est passionnant
Plongez dans l'Antiquité et découvrez Entre la Louve et l'Olympe
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- Jeb
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- El Tigre numero Uno !
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kith wrote: Ta présentation fait envie, Jeb !
Et ce n'est pas du tout long ou indigeste à lire, c'est passionnant
Merci beaucoup, Kith. Du coup, je vous dis pas la déception si vous lisez le livre...
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