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J'ai lu son premier bouquin, que j'avais trouvé pas mal, avec des défauts de structure très excusables pour un premier roman, et une noirceur assez nouvelle. Son bouquin suivant, une histoire de chiens de traîneau, m'avait paru vraiment mal construite pour le coup, succession d'épisodes sans guère de liant, de péripéties sans autre but que d'atteindre le nombre de pages requis, et globalement assez fade. Je m'étais dit : "Ce n'est pas grave, on verra les prochains, on ne peut pas réussir à tous les coups". Mais elle s'est enfoncée depuis dans une espèce de torture porn un peu systématique qui ne me parle pas du tout, et sous la surface duquel je trouve que les thèmes sont vraiment banals (apparemment, son dernier bouquin, ce sont "des gens différents qui sont poursuivis par les autorités et l'inquisition : les monstres sont-ils ceux qu'on croit ?" : bref, la tarte à la crème bien pensante de deux bouquins de fantasy sur trois...) C'est pas mon truc, tout simplement, mais je conçois très bien que son univers lugubre et son espèce particulière d'horreur corporelle puisse intéresser des lecteurs d'une sensibilité différente !

(Désolé du temps de réponse, je m'étais absenté quelques jours)

Je comprends ce que tu veux dire, c'est commun à un certain courant qu'on trouve beaucoup chez certains éditeurs de l'Imaginaire en général. Ceci dit, celui-ci échappe au reproche avec une quête bien définie, un univers très travaillé et cet aspect sombre (on est pas dans le torture porn à mon avis) qui sert à la fois le récit pour l'ambiance et les personnages. C'est l'un de ses meilleurs, à mon avis !

C'est tout à fait possible ! Je ne l'ai pas lu, pas question de jugement. Je m'y mettrai peut-être, parce que c'est toi qui recommandes, mais prudemment... 

J'ai lu le dernier Justine Niogret, Quand on eut mangé le dernier chien, qui est un livre remarquable. Sans graisse, tendu comme un fil à plomb, sans une seconde de diversion, dans un style délibérément moins éblouissant qu'à ses débuts, mais toujours capable d'asséner en une phrase ramassée une notation psychologique fulgurante. Un livre apparemment très noir, mais qui est imprégné de courage et d'humanité, de sorte qu'on en sort paradoxalement revigoré. Je ne peux le recommander plus vivement.

J'ai déjà lu du Niogret (son début avec Chien du Heaume/mordre le bouclier) et je dois dire que son style ne me plait pas. Je ne dis pas que ce n'est pas bien, attention, mais ce n'est pas pour moi. Elle a évolué comment ? C'est plus radical encore, si je comprends bien...

De mon côté, j'ai lu pendant ces vacances Les Rangers du ciel d'Horace McCoy.

C'est très surprenant : un Ranger du Texas créé une unité volante pour combattre la Patrouille Noire, une association de malfaiteurs des airs qui sévit entre le Mexique et le Rio Grande. L'auteur a servi dans l'aviation américaine pendant la 1ere Guerre Mondiale et y infuse certaines de ses réflexions ainsi que son expérience. C'est un fix-up, mais les nouvelles se suivent réellement : un indice ou arrestation dans la nouvelle 1 va conduire à l'enquête de la nouvelle 2 etc

Dans un simili-western, l'auteur orchestre des enquêtes et des duels aériens très dynamiques. Le héros Frost est sans peur et sans reproche, mais n'hésite pas à tuer. Les nouvelles se suivent réellement pendant les 2/3, dépeignant un duel avec les avions noirs, gang de contrebandiers également constitués d'As du pilotage. Je le conseille, c'est vraiment très agréable et dépaysant !

Effectivement, ça a l'air original ! Ça doit changer de la routine !

Sinon, non, je ne dirais pas que Justine Niogret est devenue plus radicale, au contraire : son style est moins poétique, moins introspectif, plus direct, plus lisible. Mais si ça lui permet d'être plus "grand public", elle compense par un sens remarquable de la formule quand le besoin s'en fait sentir. Et dans ce roman en particulier, qui ne veut pas perdre une seconde en digression et marcher droit vers... une ligne d'horizon invisible.

Je suis en train d'aborder le dernier roman du Cycle du Midi, des frères Strougatski, réuni en un volume précieux par Mnémos.

mnemos.com/livre/le-cycle-du-midi/

Le niveau en est constamment élevé, atteignant parfois des sommets, même quand le concept abordé me parle moins (celui des Progresseurs, par exemple, contraire absolu de la fameuse "Prime Directive" de Star Trek). C'est habilement écrit par des gens qui savent écrire, les personnages sont complexes et les dialogues souvent passionnants ou savoureux, les idées sont de l'excellente SF, originales, personnelles (par exemple, Le Scarabée dans la fourmilière pourra vaguement rappeler, chez les mêmes auteurs, le célèbre Stalker - mais rien d'autre : on est toujours chez les Strougatski, ils n'imitent jamais).

Curieusement, chez ces auteurs soviétiques, beaucoup moins d'idéologie et d'enfermement mental que chez tant de nos auteurs de SF contemporains, adeptes autoproclamés des valeurs les plus éclairées mais diffuseurs des clichés les plus bornés. Le livre est un peu cher, forcément, mais c'est 1300 pages écrites serrées, on en a largement pour son argent, d'autant que ce volume permet d'approfondir la connaissance de deux auteurs infiniment plus importants en SF selon moi que la cliquaille des Damasio, des Tchang, des Palmer, des Lucazeau, des Liu Cixin et autres crêpes sans sucre dont on ne cesse de nous rebattre les oreilles depuis dix ans. Vivement conseillé à qui peut se permettre l'investissement !

J'ai dévoré en trois jours le Lunar Park de Bret Easton Ellis, son hommage avoué à Stephen King. Ce qui est amusant, c'est que ça commence comme une autobiographie parfaitement exacte des jeunes années de l'auteur, avant de dériver mine de rien sur de l'invention pure, d'abord crédible, et puis de plus en plus folle. C'est de l'autofiction poussée au paroxysme, et hilarante au lieu d'être narcissique.

Bien sûr, c'est avant tout du BEE, avec des fontaines de drogue et d'alcool et ce regard sarcastique posé sur les travers de la société haute bourgeoise (ici, les principes éducatifs totalement anti-pédagogiques des écoles privées à la page, les enfants surmédicamentés, etc.). Mais en effet, progressivement, mystère et horreur prennent le pas sur les autres considérations, jusqu'au fracassant final, qui ferait très bien au cinéma.

Et puis, de façon tout à fait inattendue, surtout chez ce romancier, l'épilogue tendre, doucement mélancolique (dont BEE se sert pour se "réconcilier" avec son père décédé, et pour autre chose que je ne vous spoile pas) m'a paru très beau, et extrêmement émouvant.

Un très bon livre que je recommande chaudement. Presque un grand livre.